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Cuisiner chez soi : La solution de l’antigaspi

Pesto de fanes de radis, bouillons d’épluchures… La cuisine "éco-responsable" prend tout son sens pendant le confinement. Une habitude à garder bien après.

Il n’y a pas de revanche tardive. Voyez ces épluchures qui relèvent la tête, ces carcasses qui bombent le torse, ces tiges qui n’ont plus honte d’elles-mêmes : les bien-nommées parures alimentaires envisagent enfin leur avenir ailleurs qu’au fond d’une poubelle. La cuisine « antigaspi » existe depuis des dizaines d’années mais prend tout son sens aujourd’hui, elle qui a toujours su comment cuisiner toutes les parties d’un même aliment, même celles qu’on envoyait d’office au vide-ordure : les pauvres épluchures, trognons, croûtes, tiges, côtes, feuilles, noyaux, écorces, arêtes et autres os…

On jette 29 kilos de nourriture par personne chaque année

A l’aune de cette épreuve sanitaire sans précédent et malgré les injonctions consuméristes, la popotte « éco-responsable » n’a jamais autant été nécessaire. Ce bon sens culinaire est à la fois essentiel à nos assiettes, à notre portefeuille et à notre planète : elle permet de ne pas gâcher la nourriture à l’heure où les chiffres de l’Ademe (agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) donnent la nausée : on jette en France 10 millions de tonnes de nourriture par an, soit 29 kilos par personne. Autant revoir notre copie par le menu. Et vite.

Acheter en bonne quantité et accomoder les restes

Cuisiner chez soi : La solution de l’antigaspi
photo Jennifer Hart-Smith

« La cuisine antigaspi, c’est déjà cuisiner la bonne quantité de nourriture pour éviter les restes puis, s’il y en a quand-même, savoir les accommoder, explique Chloé Charles, cheffe indépendante qui excelle dans l’exercice. Il faut ne pas trop acheter de nourriture pour éviter de se retrouver avec des aliments périmés au frigo. » En réalisant deux ou trois repas à partir d’un plat initial, on économise de l’argent sans pour autant mégoter sur la qualité et le goût. Mieux vaut regarder sa botte de radis d’un nouvel œil : emblème le plus populaire de la cuisine de peu, elle peut devenir à la fois une soupe de fanes, un pesto, un coulis, un beurre-pommade aromatisé ou encore un condiment pour accompagner un poisson…

Les a-prioris ont pourtant la vie dure : beaucoup voient l’antigaspi comme une cuisine au rabais, qui consisterait à préparer des aliments périmés ou mauvais au goût. « Les gens pensent qu’ils ne sauront pas faire ou ont peur de mal faire, poursuit la cheffe. Mais le « zéro déchet », c’est un jeu,  on n’a rien à perdre à essayer. Achetons des aliments de qualité, sourçés et de saison, pour les utiliser à 100% : agir ainsi, c’est respecter la hiérarchie de leur production et rendre hommage à l’être humain qui les a produit. » Rayon légumes, cédons aussi aux charmes des… « moches » : ces légumes « non calibrés », que les grandes surfaces ou les restaurants huppés recalent souvent sous prétexte qu’ils sont tordus.

Chips d’épluchures, mayonnaise au vert de poireau, pain perdu…

Cuisiner chez soi : La solution de l’antigaspi
Un bouillon pour souligner le goût des préparations

Oublier l’apparence pour se concentrer sur le goût d’une parure, ouvre la porte à d’innombrables recettes malines : réaliser des chips de pluches multicolores, réaliser un coulis de fraises avec les parties vertes du fruit, faire une mayonnaise aromatisée au vert d’un poireau… « C’est devenu à la mode mais ce n’est que la cuisine de nos grands-mères, estime Pierre Augé, le chef de la « Maison de Petit Pierre », à Béziers. Il ne s’agit pas de trouver une deuxième vie à un ingrédient mais de lui donner une première vie, au lieu de l’ignorer. Au restaurant, le moindre pain restant devient une chapelure. » Le chef ne manque pas d’astuces : réaliser un granité en congelant l’eau des poires au sirop ; monter l’eau des pois chiche en neige pour remplacer les blancs d’œufs dans une mousse au chocolat ou récupérer les restes de l’agneau pascal pour en faire un ragoût façon parmentier, en le faisant confire avec des olives vertes, des tomates, de l’oignon…

Chez Chloé Charles, l’exercice est incontournable et son imagination, sans limites. « C’est une cuisine de valeur ajoutée, poursuit-elle. Elle donne deux fois plus de goûts aux plats. » Des épluchures de légumes ? Elle en fait un bouillon qui servira à un pot-au-feu mais aussi à la cuisson des pâtes ou du riz. Le vert des poireaux ? Ils servent à humidifier naturellement les cuissons au four, insérés par exemple dans le coffre d’un poulet, pour que les blancs restent bien tendres. Des brioches ratées ? Coupées en cubes, grillées au four, infusées dans du lait puis mixées, elle se transforment en une délicieuse soupe, façon crème anglaise…

Bouillons, fonds, fumets… Les bases du goût et de notre gastronomie

Cuisiner chez soi : La solution de l’antigaspi
La cheffe Chloée Charles Photo Jennifer Hart-Smith

Epluchures, bouillons… Ces éléments ont finalement donné naissance des meilleurs fonds et fumets, sauces et jus, qui font tout le caractère, le goût et la renommée de notre gastronomie. Historiquement, ce sont les ménagères qui adoptèrent ce réflexe bien avant les chefs professionnels, en période de pénuries, de guerres ou de crises économiques. C’est ainsi que le pain perdu et les croûtons sont nés de la récupération du pain rassis ; les bouillons, de celle des os de volailles… sans parler des traditionnels pot-au-feu ou hachis parmentier, qui ont été inventés pour recycler la viande. En Italie, un des recettes de la « cucina povera » consiste à remplacer le parmesan par des miettes de pain, sautées à l’huile d’olive, avec de l’ail.

 

Livres de recettes et de batchcooking, pour préparer les repas de la semaine

Aujourd’hui, cette philosophie des fourneaux a pris un tour plus écologique. La population en a pris conscience, en témoigne le succès des livres de recettes zéro-déchets ou de « batchcooking », cette vieille technique consistant à préparer le dimanche de quoi manger pour toute la semaine. Les chefs aussi commencent à adopter le concept. On notera entre autres les excellents livres du chef du Plaza Athénée, Romain Meder, « naturellement libre » (Ducasse Editions) ou celui de Sonia Ezgulian, « anti-gaspi » (Flammarion, 2017), où l’on trouvera les meilleures idées possibles pour se lancer aux fourneaux.

Dans les restaurants aussi, l’idée fait son chemin. Florent Piard en a même fait le fondement de ses deux restaurants parisiens, Les résistants et L’Avant-Poste. On n’y travaille qu’avec des produits de petits producteurs éthiques et sourcés et c’est la carte, ultra-flexible, qui s’adapte aux denrées disponibles. « On se pose la question pour chaque aliment, explique-t-il. On jette très peu. Nos restaurants existent grâce à cette vision des choses, qui peut s’adapter chez les particuliers. C’est économique, ludique, écolo et très bon ! ». La cuisine « de peu » fait finalement beaucoup.

Charlotte Langrand

Pour la recette de Dips de côtes de Chou-Fleur de Chloé Charles: cliquez ici


Charlotte Langrand

Journaliste au Journal du Dimanche (JDD) rubriques Gastronomie-Cuisine, santé-bien-être

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